Le chiffre fétiche...

Publié le par LaPorteBleue - Danièle Antoniotti



J’ai pensé à tout, jusqu’au moindre détail ! Cinq ans, son chiffre fétiche et le mien. Je tremble comme à notre premier rendez-vous.

Comme j’avais hâte de rentrer ce soir pour tout préparer et la touche finale : moi ! Douchée, maquillée et sexy à souhait !

Comme on s’aime, comme je t’aime…

Comme au premier jour, celui où nous nous sommes bousculés à la sortie de la librairie, devenue « notre » librairie.

Mes livres sont tombés à terre et j’étais furax car il pleuvait.

Tu les as ramassés et moi j’attendais que tu te relèves pour te jeter un œil noir et te faire savoir ma colère.

Mais comment pouvais-je ne pas te sourire en voyant ton visage si confus et tes yeux si doux.

Et on a discuté des heures au café du coin, de tout, de rien, de théâtre, littérature, sexe, famille, chagrin, enfance, amour... Comme si nous nous connaissions depuis si longtemps.

C’était une évidence et on ne s’est plus quittés depuis.

Cela fait cinq ans aujourd’hui que nous nous aimons…

Et notre cadeau d’anniversaire n’est pas emballé dans un jolie papier non… il n’est pas rangé dans un coin mais tout simplement au chaud… à l’abri dans mon ventre.

Je porte notre amour, celui que l’on attendait tant.

Cela fait un mois que notre enfant est blotti au creux de mes entrailles et ce soir pour nos cinq ans et pour ses un mois tu toucheras mon ventre.

Nous sommes le 5 mai…

Je regarde une dernière fois si tout est parfait, je ne peux m’empêcher de toucher mon ventre et lui parler. Il n’est pas encore arrondi ce ventre mais cela viendra vite.

Je te vois y poser ta tête, avec tes mains tu suivras les mouvements de notre enfant et cela te fera rire avec de l’eau dans tes yeux …

Enfin mon amour nous sommes trois !

On cherchera le prénom et on se disputera surement et on en rira.

Mon ventre je le caresse et lui parle doucement, lui dit :  « Papa va rentrer, je vais te le présenter enfin ! ».

Je soupire, un sourire radieux à mes lèvres, les bougies se consument et la minuterie du four retentit.

Dépêche-toi mon amour….

Je vais écouter de la musique en t’attendant, je vais mettre notre musique.

Comme j’aime l’écouter, cela faisait un moment et je ne peux pas m’empêcher d’avoir une bouffée bizarre, une bouffée d’amour, impatiente comme je l’étais à guetter le moindre de mes mails ou mon portable pour vérifier si tu ne m’avais pas appelée.

On se téléphonait des heures alors qu’on venait à peine de se quitter.

Nos corps étaient encore chaud de s’être aimés sur notre musique et je l’écoute 5 ans après et je la vis comme aux premiers jours.

Je me laisse bercer par elle, mes yeux se ferment et je pense à toi.

Je me laisse aller doucement sur le canapé et je t’attends…

Et je rêve…

Amour, caresse, rire, ton visage si doux, tes yeux qui me mangent, tes mains qui me caressent, ta peau au goût salé, la sueur sur nos corps, nos lèvres humides et avides, mon ventre bouillonnant, mes gémissements, nos doigts entrelacés pendant l’amour, nos « je t’aime » pendant l’orgasme…

Je me réveille doucement, avec presque honte d’avoir chaud, d’avoir envie de toi…

La musique a disparu…

Les bougies sont consumées, les fenêtres face aux notres sont noyées dans l’obscurité... je regarde la pendule, il est 3 heures du matin !

J’ai dormi tant que ça ? Mais… comment ai-je pu dormir autant !

Je me précipite dans notre chambre et elle est vide, regarde dans l’entrée le porte-manteau et ton blouson n’y est pas pendu.

Ma gorge se serre d’un seul coup, je ne sais que faire…

Je me précipite sur mon téléphone que je ne trouve pas, où est-il ?

Mais où est-il merde ! Je fouille dans mon sac et je sors tout ce qui s’y trouve, des sanglots commencent à vouloir se précipiter hors de ma gorge.

Je ne trouve pas ce foutu portable et je pleure de rage en ne voyant pas qu’il est posé sur le canapé à me narguer.

Je respire doucement par le nez pour me calmer, respiré par le ventre comme me l’enseigne mon prof de yoga… mais ça ne marche pas ! Je fonce sur le téléphone fixe et compose ton numéro, une sonnerie, deux sonneries, trois sonneries… que c’est long bordel ! Et le message de ton répondeur. Je suis tellement déboussolée que j’ai l’impression que tu viens de décrocher et te parle, te parle jusqu’à entendre le bip de la fin de ton message et tu n’es pas là, ni au bout du fil et je ne sais que dire… je regarde le téléphone comme s’il était responsable de ton absence.

Tu devais être là à 20h pile, tu avais hâte de rentrer je le sais, on ne s’était rien dit comme tous les ans, faisant comme si c’était un jour comme un autre et en partant lorsque tu m’a embrassée on s’est regardés en souriant comme si de rien n’était.

Il est 3 heures du matin et… la sonnette….

La sonnette….

La sonnette….

On sonne à la porte ! Oh ! Enfin ! Je me précipite vers elle en essayant de me recoiffer en chemin et de sécher mes larmes du revers de la main. Tu n’as pas tes clefs tu as du les perdre ou tu ne les retrouve pas comme d’habitude.

Je me précipite sur la poignée et m’apprête à te sauter dans les bras !

Je reste là…

non….

Deux hommes…

L’air grave, peinés…

J’ai sous les yeux un insigne…

Elle brille, elle ne me veut pas du bien… elle me transperce, elle nous transperce, je caresse mon ventre et lui fais chuttt…. Comme si notre enfant entendait, voyait, pour le calmer, le rassurer…

Une voix…

Ferme….

Douce….

Je l’entends à peine….

Madame Lombard ?

Vous êtes Madame Lombard ?

Cette voix retentit comme un écho dans ma tête, je ne peux pas prononcer la phrase, celle où je dois répondre : oui, depuis 4 ans… mais cela fait cinq ans que nous sommes…

Ils savent qui je suis…

Ils savent que je sais…

Ils savent comme à chaque fois qu’ils l’annoncent…

Ils savent, le vivent mais prendre du recul oui…

Ils savent qu’ils peuvent s’attendre à tout…

Ils n’ont pas besoin de parler, ils n’ont pas besoin de me dire….

Madame Lombard, pourrions nous rentrer quelques instants ? dit une voix…

Une ombre passe devant moi et me déplace dans l’air…  je suis si légère…

L’air est opaque et m’étouffe…

Ils n’ont pas besoin de me dire….

« Asseyez-vous Madame »…

Nous avons ….

Malheureusement… malheureusement…. Malheureusement…

 Une triste… triste… triste…

Non…. Non… rien de sors de ma bouche…

Nouvelle à vous annoncer… a…. nnoncer….annon…. cer…

Ils n’ont pas besoin de me dire que jamais notre enfant connaîtra son père autrement que par mes souvenirs et mon amour…

Notre amour… celui que je lui transmettrai….

Non…. Ils n’ont pas besoin de m’annoncer….

Que le chiffre cinq ne sera plus un chiffre fétiche…

Ils n’ont pas besoin de m’annoncer que le 5 mai et même le 5 de chaque mois je reverrai leurs visages…

Ils n’ont pas besoin de m’annoncer…

Que… jamais plus … je ne te reverrai jamais autrement que dans mes rêves…

Que jamais plus je n’écouterai notre musique….

Ils n’ont pas besoin de m’annoncer…

Que tu es mort…

Publié dans Textes... création

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